Mehdi regarde le ciel. C’est étrange, ces ombres autour de lui qui viennent de disparaître. Soudainement. Où se cache le soleil qui rayonnait l’instant d’avant ?
Pourtant tout semblait habituel ce matin, comme dans tous les beaux jours d’été.
Le ciel est bleu mais le soleil a disparu. Disparue aussi la lumière au-dessus des arbres, disparus les contre-jours qui dissimulent les détails. Disparus les chants des oiseaux, les bourdonnements des abeilles, les stridulations des criquets. Tout ce que l’on aime et ce qui nous fait rêver, comme dans tous les beaux jours d’été
Mehdi frissonne, non, il tremble. Ce paysage n’est plus son paysage. Il y manque l’âme de la vie. C’est comme un tableau non terminé, il y a tout, les prés, les maisons, les chemins, les couleurs, mais tout est vidé de relief, tout est plat, comme si l’artiste n’avait pas terminé son œuvre, comme s’il avait abandonné, comme si l’espoir l’avait quitté. L’ensemble pourrait être gris, vide et gris…Vide et gris.
Le décor est terrifiant. Terrifiant d’irréalité.
Glaçant. Pourtant il y fait chaud, comme dans tous les beaux jours d’été.
Trop chaud peut-être. Mehdi vient de le réaliser. Et comme si la nature suivait ses réflexions, une feuille se détache de la branche, puis deux, dix, et bientôt l’arbre n’est plus qu’une carcasse noirâtre entourée de ramilles desséchées. Une frêle libellule s’est posée sur son pied. Mehdi la regarde, ses ailes diaphanes sont inertes, elle est morte. Il n’avait jamais vu ça, où était la douce nature qui faisait scintiller ses yeux comme dans tous les beaux jours d’été.
Mais où est le soleil ? Le ciel est encore bleu, mais notre soleil où est-il ? On nous a volé notre étoile. Alors Mehdi s’assoit au milieu du champ sans fin, sur les herbes grillées par la chaleur sous la lumière fade de ce jour sans soleil. Il prie : « Zeus, Jupiter, qu’avez-vous fait ? Où avez vous caché notre étoile solaire ? Redonnez-nous la beauté de notre planète, et la douceur de vivre comme dans tous les beaux jours d’été. « 
Ce que Mehdi ne pouvait pas savoir, là sur cette Terre torturée, comme personne ne pouvait le savoir, c’est qu’une réunion s’était tenue, au-delà de notre atmosphère en souffrance, tout là-haut, là-haut, bien plus haut que le plus haut.
Les dieux s’étaient fâchés : « ils ont besoin d’une leçon ces habitants de la Terre. S’ils continuent ainsi, c’est tout l’univers qui va morfler. Et comme ils n’ont pas l’air de comprendre, justement cet air on va leur pourrir. On va leur balancer nos scuds les plus sophistiqués, nos missiles sol sol, air air, sol air, on va les confronter aux situations les plus terribles, on va les obliger à réagir. Ils vont souffrir, déchanter les terriens en détresse. »
Alors ils ont posé au-dessus des montagnes, des pôles et des mers, des villes et des campagnes, une immense toile pour empêcher que les pollutions ne se délitent dans l’immensité galactique et viennent souiller l’ensemble de la création. Ils ont démonté la voile de la caravelle Gaïa afin que celle-ci ne vogue plus sur l’Océan de l’univers menacé. Ils ont fait se soulever les vagues du Pacifique, souffler les vents du Sahara, brûler la canopée amazonienne, réveiller le fuji yama et confisquer le mot amour.
Mehdi vit au milieu d’une nature qu’il chérit par-dessus tout, qui le nourrit, l’instruit, le protège. Mehdi a 15 ans, il voit le soleil disparaître dans un ciel déshumanisé, il n’entend plus la douce musique du matin qui s’éveille, il peut sentir la chaux des épidémies et le souffre du canon, il ne peut plus goûter la saveur du fruit cueilli sur l’arbuste, il ne peut toucher que la peur sur son ventre amaigri, douloureux.
Mehdi a 15 ans, on est en 2022.