Sarsouille
Je vais avoir cinq mois. Chez les virus de mon espèces, les SARS-CoV-2, oui je sais, c’est pas très poétique, mais c’est le langage de ma tribu des Sarsouilles. Cinq mois chez nous, c’est encore plus que quand vous dites qu’un an chez un chien ça fait sept ans. 1 mois de Sars, c’est pou pou pou… ! Trop difficile de calculer. C’est beaucoup, beaucoup.
Donc, je suis un jeune coronavirus, tout mignon, tout beau de cinq mois. Mon papa s’appelle coronaviridae. Je suis tellement croquignolet que depuis quelques temps on a placardé ma photo tout partout pour me montrer avec de belles couleurs. Je suis constitué d’une jolie petite hélice, aussi jolie et régulière que les minuscules planètes que vous regardez la nuit dans votre ciel d’été. Une hélice, c’est fait pour voyager, voilà, vous savez maintenant pourquoi je me transporte si facilement. En surface, j’ai plein de sortes de petits arbres qui sont répartis tout autour, en couronne, et c’est pour ça qu’on est appelé comme ça dans votre monde qui tout à coup nous découvre.
Entre nous, ça nous fait bien rigoler chez moi, parce que ça fait longtemps qu’on existe, mais vous êtes comme ça, vous, les humains, vous attendez toujours les guerres pour vous secouer le popotin. On savait bien chez les Sarsouilles que certains nous avaient repérés dans les labos de recherches, ça nous perturbait un peu, mais bon, c’était très rassurant de constater que notre colonie était trop confinée pour inquiéter les dirigeants de votre terre.
Bref, j’étais vraiment tout petit, minuscule, j’avais quelques heures, j’habitais dans le beau pays de Wuhan – c’est loin d’ici, mais de nos jours on voyage vite, un coup d’avion et hop on est à l’autre bout du monde- et ma maman m’a demandée de rendre visite à notre chauve-souris la voisine (certains disent une ratapounade). Que faisiez-vous aux temps chauds lui dis-je ? Je volais. Je lui ai répondu que c’était pas beau de voler. Elle s’est mise à pleurer, alors je l’ai consolée et je lui ai fait cadeau de plusieurs de mes virions parce que je suis généreux.
La chauve-souris n’est pas préteuse, c’est là son moindre défaut, mais elle aime les pangolins chinois. Elle vient souvent se poser le soir au crépuscule sur les écailles dorées de son meilleur ami, le pangolin Gérard. Parce que, c’est un scoop, vous avez compris que la pandémie est partie du pangolin Gérard. Il n’y est pour rien Gérard, ne lui en voulez pas. Alors, le pangolin Gérard il a caché sous chacune de ses petites écailles dorées un des petits virions de la chauve-souris des virions de moi.
Malheureusement, les pangolins sont très recherchés. Vous saviez que les Wuhanais aimaient beaucoup le pangolin ? En Chine, c’est comme ça, le dimanche on mange le pangolin rôti. Le pauvre pangolin Gérard, comme beaucoup d’autres a fini à la casserole. On l’a bien plumé (euh, non, écaillé) farci, ils se sont régalés. Sauf que toutes les petites écailles ont trainaillé, sises sur la table, sises sur le trottoir, parce que les enfants de là-bas aiment jouer aux écailles le dimanche après le repas.
J’aime bien écouter, le soir à la veillée, l’histoire du pangolin Gérard qui nous a fait prospérer. Ma mère m’a dit que maintenant partout dans le monde on ne parle plus que de notre tribu. Ils disent les humains qu’ils payent un lourd tribut à cause des Sarsouilles. Moi, je me dis que le héros de cette histoire c’est Gérard, on devrait plus dire covid19 en parlant de la pandémie, on devrait dire le Gérard19.