Un conte de maux

Un conte de maux

J’aime bien les contes de fées. A ma manière.

Il était donc une fois, parce que tous les contes de fées commencent ainsi, dans un pays lointain, un peuple qui vivait heureux. Ses habitants n’avaient pas appris la jalousie, la cupidité. Ils vivaient dans la simplicité d’un bonheur organisé autour du plaisir et de la satisfaction de manger à leur faim, d’avoir un logement confortable et de profiter de certains biens matériels qui leur permettaient de se distraire et de se sentir comblés.

Wolfgang et Roxana habitaient ce magnifique jardin d’Éden où tous les êtres humains partageaient la même envie d’être heureux. Ils s’étaient rencontrés quatre ans auparavant à une soirée chez des amis qui avaient bien un peu fait exprès de les inviter ensemble. Et ça avait marché, ils étaient tombés amoureux et s’étaient mariés.  Depuis leur vie était douce et idyllique. 

-que vas-tu faire demain mon doux Wolfy ? Avait demandé Roxana pendant le repas.

– tu sais bien que j’ai réunion au conseil de la cité. Nous devons décider de l’achat de matériel agricole, de la construction d’un centre de soins, des livres à commander pour l’école. Enfin bref, ce sera une longue réunion, et il faut aussi qu’on envisage de trouver un instituteur pour l’année à venir.

La vie de la cité était organisée et réglée afin que le travail de chacun contribue au patrimoine collectif, aux ressources et aux biens communs. Tout n’était que question de répartition et celle-ci était décidée par un conseil de membres renouvelés chaque année en fonction de l’âge et du sexe : hommes et femmes devaient avoir entre 30 et 40 ans, tirés au sort. Wolfgang en faisait partie depuis deux mois.

C’est un long travail de patience de se consacrer au bien-être commun. Il faut savoir être disponibles pour répondre aux questions et souhaits de chacun, savoir faire des choix et expliquer ce qui a été choisi. Ce n’était pas toujours le plus facile. Mais ce peuple, depuis sa naissance, était élevé dans le respect des autres, dans la bonne intelligence collective et dans la volonté d’être heureux ensemble. Il y avait une police, mais elle n’était là que pour le rappel des règles de base. Tout se passait dans le meilleur des mondes.

Or donc, tout aurait pu continuer longtemps ainsi s’il n’y avait eu ce petit grain de sable qui vient tout faire gripper. 

Et justement, c’est bien de grippe dont il a fallu parler. Car, soudain, venue d’on ne sait où,  peut-être d’un petit animal insignifiant ou d’un pollen apporté par le vent, une maladie se propagea dans le pays. Bientôt, même le médecin fut touché par le mal et mourut. 

Le conseil fut réuni : comment allait-on soigner les personnes contaminées ? On se rappela que Roxana avait un cousin qui était parti depuis plusieurs années dans un pays lointain de l’autre côté de la terre. Il était docteur et à l’unanimité il fut décidé de lui demander de venir les aider.

Ce que l’on avait oublié,  et que certains anciens auraient pu rappeler si entre-temps ils n’avaient pas succombé à la maladie, c’est que le cousin avait quitté le pays parce qu’il en avait été chassé. En effet, à plusieurs reprises cet homme nommé Boris, s’était révélé égoïste, cupide et dénué des qualités communes à tous les citoyens. On lui avait laissé maintes fois la possibilité de se racheter, mais rien n’avait été possible et on avait du l’exclure dans l’intérêt collectif. C’était la première et la seule sanction aussi radicale qui avait été prise.

Boris était donc venu s’installer. Wolfgang et Roxana lui avaient offert de loger chez eux. Son savoir-faire de médecin n’était pas à mettre en cause. Il était très compétent et efficace et en peu de temps l’épidémie s’était stoppée. Peu à peu chacun retrouvait la santé et la douceur de vivre.

Sauf que le malin Boris avait entrepris de prouver aux uns et aux autres que ses soins seraient meilleurs si on pouvait lui faire quelques cadeaux. Progressivement il avait institué un circuit parallèle payant pour ses remèdes et ses consultations.

En quelques mois les habitants avaient découvert les nouvelles vertus d’être mieux soignés que les autres grâce à l’argent, et plus généralement que ce qui était important ce n’était pas d’être heureux ensemble mais plutôt que eux soient heureux même si ça devait l’être au détriment du voisin. L’égalité, la fraternité, ils n’en avaient plus que faire.

Encore une fois le conseil fut réuni en urgence, mais les sages se sentaient tout à coup impuissants devant le déferlement des attitudes nouvelles et personnelles des citoyens.

C’est alors que le destin était venu leur donner un coup de main. Probablement trop impatients de profiter à nouveau de leur bonne santé retrouvée en apparence, des imprudents avaient oublié de continuer leur traitement, etaient allés faire la fête chez leurs amis. Et la contagion avait repris de plus belle, encore plus virulente, encore plus terrible, encore plus mortelle.

Non seulement les malades étaient de plus en plus nombreux, mais tous les mauvais sentiments de rivalités, de jalousie, d’indignité, étaient des obstacles à la guérison dans le pays.

Et Boris s’enrichissait car il promettait les meilleurs soins à ceux qui le payaient le plus, ils avaient droit à ses potions, à ses masques de protection (il y en avait peu dans les placards). Il leur faisait parvenir ses recommandations par des personnes qu’il employait pour ça car il ne voulait pas être en contact avec les malades, il savait que c’était ainsi qu’on attrapait la maladie.

Roxana était outrée et vexée qu’une personne de sa famille agisse ainsi. Un plan s’était progressivement mis en place dans sa tête. Elle avait dit à son mari :

« Wolfi je n’en peux plus de ce cupide Boris. Il est malfaisant pour notre pays. Dépêche toi de trouver un autre médecin qui partage nos valeurs. Je veux que nous retrouvions tous notre bonheur et notre douceur de vivre, comme avant ».

Peu de temps après, son mari lui annonça qu’un nouveau docteur allait arriver, et que de celui-là il était certain qu’il partagerait leurs valeurs fraternelles.

« Mais comment allons-nous faire pour Boris ? Ça n’est pas son genre de partir si on lui demande ! »

« J’ai une idée pour ça. Hélas je préfère ne pas t’en parler pour le moment »

La brave Roxana avait bien étudié le problème et en avait conclu que quelqu’un devait se sacrifier pour faire disparaître l’indésirable Boris. Et ce serait elle qui devrait se sacrifier.

De ce moment, elle ne cessa d’apporter tous ses soins aux malades, surtout les plus infectés.  Elle les aida, leur donna sa gentillesse, les soutint dans leur agonie, adoucit leurs derniers instants.

Bien entendu, très vite elle tomba malade. Et son plan était là : elle avait profité d’un voyage de Wolfgang pendant quelques jours, pour rapporter le mal chez elle. Elle avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour se mettre le plus près possible de Boris, lui préparer à manger, toucher les objets quotidiens.

Bientôt Boris qui n’avait rien soupçonné parce qu’il était trop prétentieux pour ça,  était lui aussi tombé malade, incapable de se lever pour prendre ses remèdes. En quelques jours la maladie s’aggrava et Boris mourut dans la solitude la plus complète.

C’est ainsi que le pays fut débarrassé de cet être malfaisant et put retrouver son équilibre d’égalité et de fraternité qui lui était cher.

Le grand malheur dans cette histoire fut le sacrifice de Roxana qui ne put être sauvée. Elle  devint l’idole du pays, l’héroïne que personne n’oublierait jamais.

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